Le Temps dans les Mots
- Armando Cruz - Fragmentos do Verbo

- 4 juin
- 2 min de lecture

Il y a des mots qui durent plus que la matière. Et des silences qui disent davantage que mille phrases. Entre les deux, nous avançons avec l’écoute fine, comme si nous tâtons le temps à travers la langue. Le temps, oui, est contenu dans les mots. Il habite leurs racines, leurs inflexions, leurs silences. Chaque verbe conjugué, chaque temps choisi est une manière de se situer dans l'existence.
En portugais, on dit "je suis avec la saudade" — on ne la possède pas, on l'habite. En français, le verbe "être" se confond avec le temps et l'identité. En anglais, "to be" signifie à la fois être et exister. Chaque langue nous demande : où êtes-vous dans le temps ? Êtes-vous de passage ? Résidez-vous ? Résistez-vous ? Apprendre une langue, c’est aussi apprendre à conter le temps autrement.
Comme traducteur et professeur, je perçois à quel point les temps verbaux reflètent notre relation au monde. Le passé, le futur, le présent progressif — ce sont des manières d’habiter la réalité. Certains élèves préfèrent le présent, refuge de stabilité ; d’autres osent le conditionnel, territoire du rêve, de l'hypothèse, de ce qui aurait pu être.
Enseigner, ce n’est pas seulement transmettre des tableaux de conjugaison. C’est offrir des regards. Enseigner la grammaire, c’est enseigner une vision du monde. Aider à dire "j’étais", "je serai", "j’aurais été", c’est accompagner un élève dans son propre récit. Chaque temps verbal devient alors une fenêtre sur le temps intérieur.
Fragmentos do Verbo naît de ces instants-là : quand la langue devient miroir. Quand le verbe, fragmenté, nous révèle en entier. Car au fond, apprendre une langue, c’est s’apprendre soi-même. Et chaque temps appris est du temps retrouvé.




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